Essai de définition des termes paix et cohésion sociale en fulfulde
DIALLO Asséta
Chargée de recherche
Institut des sciences des sociétés (INSS)
Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST)/ Burkina- Faso
Résumé
La conception de définitions est une activité très délicate qui mérite qu’elle soit confiée à des lexicographes chevronnées. La définition est une construction du sens. Le présent travail est un essai de de définition de deux concepts très importants et très utilisés actuellement au Burkina Faso. A travers cet exercice, il est question d’interroger le public foulaphone et de dégager leur perception de ces deux concepts en nous appuyant sur les définitions qu’il propose.
Mots clés
Paix ; cohésion sociale ; définition ; fulfulde
- Introduction
Le Burkina Faso, pays jadis havre de paix est depuis quelques années confronté à une crise sécuritaire jamais égalée. Tous les secteurs du pays sont touchés. La paix tant chantée au Burkina Faso a pris un coup dur. Elle s’effrite au jour le jour. Une situation aux graves conséquences qui met en mal la cohésion sociale et le vivre ensemble. Les burkinabè viennent de se rendre compte à leurs dépens que rien n’est acquis définitivement et qu’il est urgent de travailler pour un retour rapide à une situation de paix. A tout bout de lèvres, que ce soit en public ou en privé, les populations sont accrochées aux termes « paix et cohésion sociale ». Tous les souhaits, toutes les prières convergent vers la recherche du retour de la paix dans le pays et à un vivre ensemble harmonieux. Félix Houphouët Boigny, en 1976, lors d’un discours prononcé à l’ONU a dit : « La paix, ce n’est pas un vain mot, c’est un comportement ». Alors qu’est-ce que la paix et la cohésion sociale ? comment les exprime-t-on en fulfulde ? Comment on les définit ?
L’objectif de cet essai est de trouver les équivalents de paix et cohésion sociale en fulfulde et d’en proposer des définitions.
- Méthodologie
La méthodologie utilisée dans ce travail a consisté à interviewer vingt personnes sur leur connaissance des termes paix et cohésion sociale en fulfulde à travers les dénominations de ces termes en fulfulde et les définitions qu’elles peuvent proposer dans cette même langue. Les données recueillies ont été traitées. Le traitement a permis de les transcrire orthographiquement, à regrouper les idées convergentes et à les analyser afin d’en dégager la pertinence.
- Résultats
Les résultats se présentent comme suit : une clarification conceptuelle de « paix et cohésion sociale » en français. La proposition de leurs équivalents en fulfulde et enfin les propositions de définitions en fulfulde.
- Définition des concepts
Nous proposons les définitions en français des termes « paix et cohésion sociale » en nous basant sur quelques dictionnaires et sur des propositions d’auteurs spécialistes en la matière.
Pour le nouveau Petit Larousse en couleur (1968 : 655), la paix est définie comme « Etat d’un pays qui n’est pas en guerre » ou comme un « état de concorde, d’accord entre les membres d’un groupe, d’une famille ». Quant au nouveau Littré (2004 : 954), ce sont des « rapports réguliers, calmes, sans violence, d’un état, d’une nation avec un autre état, une autre nation ».
La première définition du Larousse et celle du Littré définissent la paix comme une absence de guerre ou de violence. Pour ces auteurs, la paix s’oppose à la guerre. Ces auteurs mettent également en relief deux Etats ou nations. Ce qui à notre avis n’est pas correcte. L’absence de violence ou de guerre n’est pas forcément synonyme de paix d’une part. Cela pourrait ou pas concerner deux Etats ou deux nations d’autre part. Dans un pays sans guerre, si les populations n’ont pas de quoi manger ou de quoi se soigner, n’ont pas de moyen pour s’offrir un abri certes, il n’y a pas de guerre mais cette situation ne peut en aucun cas être qualifiée de paix. La paix est un ensemble de facteurs qui concourent au bien-être physique, moral, social et économique, individuel et collectif d’une communauté, d’un pays, d’un continent. La paix est comparable à un vivant ; en effet il faut s’en soucier, en prendre soin en permanence afin qu’elle germe, grandisse sinon elle risque de s’effriter avant maturité puis mourir laissant place à l’horreur.
Johan Galtung (1971), distingue deux types de paix : « La “paix négative” est l’absence de guerre ou de conflit violent entre les Etats, ou à l’intérieur d’un même Etat – par “paix positive”, on entend non seulement l’absence de guerre ou de conflit violent, mais aussi un état d’équité, de justice et de développement. »
Selon sa définition, on pourrait dire que la paix positive, est la vraie paix car en plus de l’absence de guerre, elle prend en compte la justice sociale et le développement.
Quant à la cohésion sociale, elle est définie par le Conseil de l’Europe comme :
La capacité d’une société moderne à assurer de façon durable le bien-être de tous ses membres, incluant l’accès équitable aux ressources disponibles, le respect de la dignité dans la diversité, l’autonomie personnelle et collective et la participation responsable […] ce qui implique l’engagement social à réduire les disparités au minimum et à éviter toute polarisation.
A travers cette définition, on se rend compte que paix et cohésion sociale sont indissociables. Une paix sans cohésion sociale n’en est pas une. De même une cohésion sociale sans paix est tout simplement impossible.
- Recherche des équivalents
Présentons les équivalents fulfulde des termes paix et cohésion sociale obtenus des informateurs et documents lexicographiques.
Termes en français | Equivalents en fulfulde |
Paix | Jam~jamu, celbal, hakkillo fukkiingo, |
Cohésion sociale | gonndal lobbal, kawral, dewral, paamiral, potal, nanantirgol |
Commentaires
Nous constatons que dans l’arabe tchadien « jamm » est utilisé dans le sens de : reposer, mettre au repos, procurer le bien être, pacifier, mettre à l’aise, donner la paix. En wolof « jaam » signifie la paix. De même en sonninke, jamu/jam a le sens de : paix, bonheur. En fulfulde il renvoie à la santé, la paix et la tranquillité. Selon certaines sources, jam serait un emprunt issu de l’arabe. C’est ce qui ressort des travaux de Tourneux Henry (2007). Pour l’auteur, jam dérive de la racine arabe [j m m]. L’exemple de l’arabe tchadien dans les travaux de Patrice Julien de Pommerol (1999) pourrait justifier l’argument de l’emprunt. Pour cet auteur, la racine jmm dont est issu le verbe transitif yijimm peut avoir pour sens : reposer, mettre au repos, procurer le bien-être, pacifier, mettre à l’aise, donner la paix. Nous partageons l’idée que jam est issu de l’arabe. Cependant, pour certains de nos informateurs, il pourrait dériver de la racine arabe [j n n] précisément du mot jannah qui signifie paradis dans le coran. Dans le coran jannah est un jardin paisible qui réserve bonheur éternel et tranquillité à ses habitants. Si jam~jamu sont des emprunts à l’arabe, quelle est donc le terme originel de la langue désignant « paix » ? En dehors de jam~jamu, celbal et hakkillo fukkiingo sont les termes recensés renvoyant à paix. Celbal est utilisé dans le fulfulde parlé au Cameroun. Dans ce dernier, il y a la racine cel– qui est l’idée de santé. En fulfulde, les termes santé et paix dérivent-ils de la même racine ?
Quant à hakkillo fukkiingo littéralement //esprit couché// ce qui nous donne « esprit tranquille, paix », c’est un composé formé de hakkillo « qui veut dire intelligence, esprit » et de fukkiingo « couché ».
Que retenir de cohésion sociale ? Gonndal lobbal ; kawral, dewral, potal, nanantirgol sont les termes utilisés dans le sens de cohésion sociale. Cependant, kawral, dewral, nanantirgol sont des synonymes renvoyant à l’« entente ». Cette entente peut concerner deux ou plusieurs personnes. Utilisé dans le sens de l’entente entre plusieurs personnes (toute la communauté, toute la nation) il renverrait à la cohésion sociale. Un autre synonyme de cohésion sociale en fulfulde est paamiral ; il dérive de la racine faam- qui signifie idée de comprendre. C’est un emprunt à l’étymon arabe « lifahm ». Ici, il est question de compréhension mutuelle. Potal quant à lui est beaucoup plus précis que les autres. Dans ce terme, il y a le radical /pot-/ issu de /fot-/ qui renvoie à l’égalité. Potal est l’entente dans l’égalité ou de manière égalitaire. Au regard de la définition de cohésion sociale donnée plus haut, les termes gonndal lobbal et potal semblent reunir les éléments de la « cohésion sociale ».
- Proposition de définition des termes paix et cohésion sociale
Qu’est-ce qu’une définition ?
Pour reprendre les propos de Alou KEITA dans ses notes de cours de terminologie, la définition est un énoncé affirmatif (à la forme affirmative) qui décrit une notion et permet de la différencier des autres notions à l’intérieur d’un même système notionnel donné. Elle est indispensable pour assurer l’univocité des dénominations par rapport à leurs notions et pour garantir une terminologie sure. Deux types de définitions conviennent à la recherche terminologique : par compréhension et par extension.
Alou KEITA dans ses notes de cours de terminologie donne les définitions suivantes de la définition par compréhension et de celle par extension : la définition par compréhension (c’est une définition qui part de la notion super-ordonnée la plus proche (hyperonyme) et indique les caractères distinguant la notion définie des autres notions co-hyponyme ; en d’autres termes, elle part de l’hyperonyme en donnant des informations sur les co-hyponymes). Celle par extension définit une notion ou un objet par les notions subordonnées ou les éléments qu’elle comprend. C’est une définition qui permet de citer les éléments constitutifs de cet ensemble définitoire. Elle est souvent plus facile à établir que la définition par compréhension. La définition par compréhension peut parfois être complétée par la définition par extension.
Pour être conforme, une définition doit respecter les critères suivants : l’objectivité, la concision, la précision, la clarté, la référence au système notionnel (rester dans le domaine notionnel circonscrit), la logique notionnelle (tenir compte du super-ordonné dans toutes les définitions), l’utilisation des dénominations établies, éviter les définitions circulaires et les définitions négatives.
La conception de définitions est un exercice lexicographique très complexe. Dans un travail dictionnairique, le traitement des définitions est confié aux lexicographes chevronnés. Celles que nous proposons sont issues de profanes ignorant tout des pratiques lexicographiques. Ces définitions sont le reflet de vision et de la compréhension de quelques locuteurs par rapport aux sens des termes étudiés à savoir la paix et la cohésion sociale.
Les propositions de définitions se présentent comme suit :
Terme à définir | Proposition de définition | Traduction en français |
Jam | 1Rafi bone. | « Absence de mal. » |
2Taweede hulaa, waalaa saɗɗa fu. | « Être sans peur et n’avoir aucun souci. » | |
3Wo ko yi’ataake ammaa soni ɗum walaa wo tiiɗalla et mettallaaji ɓerɗe wonata. | « Quelque chose d’invisible dont l’absence est synonyme de difficultés et de mécontentements. » | |
Gonndal lobbal | Jooɗidaade nokkuure tawa gooto fu joganaaki baddum mettalla, kawral na woni hakkunde ƴimɓe fu. | « Cohabiter sans que personne ne soit mécontent de son voisin, existence d’entente mutuelle entre tout le monde. » |
Dewral | Wondude tawa kaɓi walaa. | « Être ensemble sans conflit » |
Kawral | Wonudude tawa na lewri, hakkunde mum e na wooɗi. | « Être ensemble dans l’entente, tout se passe bien entre tout le monde. » |
Potal | ƴimɓe ɓe hakkillooji mum e nanndi, tawa gooto fu na jaɓani banndum. | « Personnes ayant les mêmes visions et perceptions avec une entente mutuelle. » |
Paamiral | nanugol e jaɓugol ko darnaa | « Entendre et accepter les décisions prises. » |
Nanantiral | Wo paamiral hakkunde ƴimɓe. | « C’est la compréhension entre les uns et les autres. » |
Ces définitions sont juste une compilation des informations obtenues auprès des personnes enquêtées. Cependant, en observant les définitions données pour les termes dewral, kawral, potal, paamiral, nanantiral, on se rend compte de la relation de synonymie entre eux. Cette synonymie rend difficile la production des définitions. L’enquêté a tendance à définir chacun des termes par un synonyme.
Conclusion
Cet article est un essai de définition des termes paix et cohésion sociale. L’essentiel du travail a consisté à définir les deux termes en français pour une meilleure compréhension. Ensuite les différentes dénominations fulfulde de ces termes ont été recensées. A travers ces dénominations, on se rend compte des différentes possibilités qu’ont les locuteurs de la langue fulfulde pour parler de ces deux réalités. Pour terminer, une ou des définition(s) a été proposée pour chacun des termes en fulfulde, suivie de leur traduction française.
Bibliographie
DE POMMEROL Patrice julien, (1999), Dictionnaire arabe tchadien ; suivi d’un index français-arabe et d’un index des racines arabe. Paris, Karthala, 642p.
DIALLO Asséta, (2018), Terminologie français-fulfulde des sciences de la vie et de la terre. Thèse de doctorat unique, Ouagadougou, Université Ouaga 1, Pr Joseph Ki-Zerbo.
GALTUNG Johan, (1971), « A Structural Theory of Imperialism », Journal of Peace Research 2/1971, pp. 81–117
KEITA Alou (2022), Notes de cours de terminologie, master de traduction/interprétation
LAROUSSE Pierre (1968), Le nouveau petit Larousse en couleur, Paris, Larousse p.1664
PRUVOST (2004), Jean nouveau littré, Italie, Garnier, p.1639
TOURNEUX, Henry et al. (2007), Dictionnaire peul du corps et de la santé (Diamaré, Cameroun), Paris, KARTHALA/OIF, p. 616