Difficultés et suggestions des acteurs pour une meilleure gouvernance linguistique au Burkina Faso
KABORE Amado, Chargé de recherche INSS/CNRST – Burkina Faso
OUEDRAOGO Alain, Directeur de recherche INSS/CNRST – Burkina Faso
OUEDRAOGO Issa, Assistant, Université de Ouahigouya.
Résumé
Au Burkina Faso, les langues nationales font face à la rude difficulté de leur expression, parfois de leur existence. Entres autres causes citées, il y a la question de la gouvernance qui reste peu structurée et maitrisée. L’objectif de cette réflexion est d’analyser les difficultés rencontrées des acteurs de la promotion linguistique et de faire des et suggestions issues de ces derniers en vue d’une meilleure gouvernance linguistique.
Il s’agit d’un document de vulgarisation est tiré de l’article scientifique « Aménagement linguistique au Burkina Faso : recueil d’opinions pour un renforcement des capacités des acteurs de la gouvernance linguistique » publié dans les Actes du Colloque « La gouvernance à l’ère des changements globaux : situation, résilience et défis en Afrique » organisé par le Fonds pour la Science, le Technologie et l’Innovation (FONSTI) et le Programme d’Appui Stratégique à la Recherche Scientifique (PASRES), Abidjan- Côte d’Ivoire les 28, 29 et 30 juin 2022, Revue trimestrielle en Sciences Sociales (RSS) -Programme d’Appui Stratégique à la Recherche Scientifique (PASRES), PP.940-955.
Introduction
Dans un premier temps, cet article décrit les difficultés de la gouvernance linguistique au Burkina Faso. Dans un second temps, l’article aborde les suggestions formulées par les acteurs pour une meilleure gouvernance linguistique.
L’objectif de cette recherche est d’analyser les effets de l’aménagement linguistique sur la promotion des langues nationales.
Afin d’atteindre cet objectif, les populations ne sont pas laissées en marge de ce volet important dans plusieurs localités (villes et campagnes) du Burkina Faso.
La pertinence sociale de la promotion des langues nationales se fonde sur plusieurs facteurs. Toutefois, de nombreuses difficultés entravent son développement. L’étude a permis de récolter des pistes de solutions émanant des acteurs de terrain.
- Méthodologie adoptée
L’analyse des caractéristiques socio-démographiques des enquêtés revêt un caractère important. En effet, elle permet de comprendre la structuration de la population (Age, sexe, niveau d’instruction…), d’expliquer certains comportements et d’orienter les politiques. Concernant cette étude, au total 29 femmes et 87 hommes âgés de 25-67 ans ont répondu aux questions posées avec le questionnaire individuel. L’analyse des caractéristiques socio-démographiques des enquêtés selon le sexe montre que les femmes représentent 25,0 %.
La plupart (39,7%) a un âge compris entre 45 et 54 ans. 44,0 % résident à Bobo-Dioulasso contre 20,7 % à Ouagadougou, la répartition selon le niveau d’instruction indique que 62,1 % ont le niveau supérieur et 32,8% le niveau secondaire. Seulement 1,7% ont le niveau primaire. La plupart des acteurs enquêtés ont un âge compris entre 45 et 54 ans dont 41,4 % de femmes et 39,1% de sexe masculin. Ceux dont l’âge est compris entre 25 et 34 ans sont peu nombreux avec seulement 10,3 % des femmes et 6,9% des hommes (Ouedraogo, Kabore et Ouedraogo, 2022).
- Analyse des difficultés de la promotion et la gouvernance des langues nationales
2.1. L’analphabétisme dans les langues nationales.
Les résultats de l’étude ont indiqué qu’à la question de savoir « est-ce que les gens savent lire et écrire en langues nationales au Burkina Faso ?», le graphique 1 ci-après donne un aperçu des différentes réponses.
Graphique 1 : impact de l’alphabétisme sur la promotion des langues nationales
Source : enquête relative à la mise en œuvre de la gouvernance linguistique au Burkina Faso Juin 2022.
Les résultats de l’étude nous ont permis de passer en revue les principales difficultés de la promotion des langues nationales. Le graphique 1 révèle que Peu de gens savent lire et écrire en langues nationales. En effet, 49,1% affirment être en total accord que les Peu de gens savent lire et écrire en langues nationales au Burkina Faso et 43,1% sont d’accord.
Cependant, seulement 2,6% des enquêtés affirment ne pas être du tout d’accord avec cette assertion.
- La faible instrumentation et instrumentalisation des langues nationales
Tableau 1 : Perceptions de la Source : enquête relative à la mise en œuvre de la gouvernance linguistique au Burkina Faso Juin 2022.
Réponses | Nombre de personnes enquêtées selon la réponse |
% |
D’accord
Pas d’accord |
79 8 |
68,1 6,9 |
Tout à fait d’accord
|
29 | 25,0 |
Source : enquête relative à la mise en œuvre de la gouvernance linguistique au Burkina Faso Juin 2022.
Le tableau ci-dessus lasse apercevoir que 68,1% des personnes interrogées affirment être d’accord que l’une des principales difficultés de la promotion des langues nationales réside dans leur faible instrumentation et instrumentalisation. En plus, 25% de ces acteurs interrogés sont tout à fait d’accord avec cette hypothèse contre 6,9% des personnes des enquêtés qui ne sont pas d’accord que la faible instrumentation et instrumentalisation des langues nationales est une difficulté de la promotion des langues nationales.
- Le problème de formation
L’analyse de la gouvernance linguistique au Burkina Faso a permis de noter qu’en fonction du sexe et du niveau d’instruction, les personnes enquêtées que leur majorité soit 53,4 % affirment que le nombre limité de formateurs et/ou d’animateurs ne permet pas une meilleure promotion des langues nationales. Parmi eux 61,3% ont le niveau supérieur. Aussi 37,1 % sont entièrement d’accord que cela handicape la promotion des langues nationales. Seulement 0,9 % ne sont pas du tout d’accord de cela. Ce qui suppose qu’il faudrait augmenter le nombre de formateurs/animateurs afin de couvrir le maximum possible d’apprenants pour un développement endogène.
Quant à la contribution de la richesse du patrimoine linguistique au développement, 56,0% sont d’accord que ce patrimoine est un avantage au développement et seulement 0,9 % ne sont pas d’accord. Par ailleurs, la plupart des enquêtés (62,1%) reconnaisse qu’au Burkina Faso, il y a une coexistence pacifique des langues et des groupes ethniques. Parmi eux, 62,5% sont du supérieur dont 72,2 % de sexe masculin.
- La faible coordination ou non mise en synergie des diverses expérimentations et formules d’enseignement bilingue
Graphique 3 : Les difficultés de la coordination des multiples actions
Source : enquête relative à la mise en œuvre de la gouvernance linguistique au Burkina Faso Juin 2022.
Le graphique 3 laisse voir que les personnes interviewées sont largement d’accord (77%) que la faible coordination ou non mise en synergie des diverses expérimentations et formules d’enseignement bilingue. En outre, 17% sont tout à fait d’accord avec cette idée.
Et seulement 6% des enquêtés sont opposés à cette assertion.
En plus de cette difficulté, il y a la faible mobilisation sociale autour d’une alphabétisation à faible valeur marchande, avec pour conséquences une faible adhésion des acteurs et des bénéficiaires.
- Faible mobilisation sociale autour d’une alphabétisation à faible valeur marchande, avec pour conséquences une faible adhésion des acteurs et des bénéficiaires
Source : enquête relative à la mise en œuvre de la gouvernance linguistique au Burkina Faso Juin 2022.
Le graphique 3 laisse voir que les personnes interviewées sont largement d’accord (66%) que la faible mobilisation sociale autour d’une alphabétisation à faible valeur marchande, avec pour conséquences une faible adhésion des acteurs et des bénéficiaires. En outre, 29% sont tout à fait d’accord avec cette idée. Et seulement 5% des enquêtés sont opposés à cette assertion.
Au-delà de ces difficultés relevées, les acteurs ont fait quelques suggestions qui méritent notre attention.
3. Perspectives et suggestions d’actions
En ce qui concerne les sources de financement 58,6% ne sont pas d’accord que les PTF soient les seuls pourvoyeurs de fonds
Aussi 56,9% des enquêtés ne sont pas d’accord que les Fondations et les organisations philanthropiques soient les seuls bailleurs de fonds. Ceux qui ne désirent pas que les communautés bénéficiaires soient les seuls bailleurs de fonds représentent 54,3% des enquêtés. 61,2% par contre trouvent que le multi financement (État, PTF, Fondations, organisations philanthropiques et communautés locales) constitue le modèle de financement le plus efficace.
Entre autres suggestions, il y a le fait que :
- L’état devrait prendre des mesures pour anticiper sur ces risques, s’il veut réussir la mise en œuvre de la politique linguistique.
- La mise en œuvre de la gouvernance linguistique nécessite des actions volontaristes qui se déclinent ainsi qu’il suit :
- une campagne de plaidoyer et de mobilisation sociale autour de la promotion des langues nationales orientée vers les communautés de base, les acteurs étatiques notamment les ministères en charge de l’éducation, de la culture, de la justice, de l’administration territoriale et de la décentralisation ;
- la prise de textes d’application consécutifs à la loi portant processus d’officialisation des langues nationales et le décret relatif à la politique linguistique au Burkina Faso ;
- la dynamisation de la commission nationale des langues nationales ;
- la mise en application des recommandations issues des assises nationales de l’éducation dans son volet relatif à la promotion des langues nationales et l’éducation bi-plurilingue.
Conclusion
La mise en œuvre de la gouvernance linguistique nécessite la mise en place d’un dispositif performant et cohérent en mesure d’assurer l’exécution des activités, les suivis et l’évaluation de la mise en œuvre et de développer des stratégies devant orienter la gestion des risques. Les résultats de l’analyse diagnostique ont relevé des menaces qui pourraient constituer des risques quant à la réalisation des orientations de la politique.
Références bibliographiques
ACCT-OIF, 1993. Propositions pour un plan d’aménagement linguistique (Espace francophone du Sud). Actes des Etats Généraux de l’éducation (Ouagadougou, 5-10 septembre 1994). Ouagadougou : Premier Ministère.
BADINI, Amadé, 1994. Le français, langue nationale burkinabè : aberration historique ou exigence du Burkina contemporain ? Dans DGINA 1994 : Les langues nationales dans les systèmes éducatifs du Burkina Faso : état des lieux et perspectives. Actes du colloque organisé du 2 au 5 mars 1993 à Ouagadougou. Ouagadougou, p.
BOULANGER Jean-Claude (1981). « Jean-Claude Corbeil, L’aménagement linguistique du Quebec, coll. « Langue et société », numéro 3, Montréal, Guérin éditeur limité, 154 p. », Terminogramme, n°7-8, mars-juin, p.11-12. [Compte rendu]
DECRET No 2019-0600/PRES promulguant la loi no033-2019/AN du 23 mai 2019 portant loi d’orientation sur les modalités de promotion et d’officialisation des langues nationales du Burkina Faso, 2019, 10 p.
KABORE, Bernard, 2019. Partis politiques (officiels et non officiels), idéologies et représentations des langues nationales au Burkina Faso. REISL n°2, juin 2019, p.11-48.
KEDREBEOGO, (Gérard), 2004. Langues nationales et administration au Burkina Faso. Communication présentée au Forum National sur les Langues Nationales tenu à Ouagadougou du 23 au 25 juin 2004.
OUEDRAOGO Alain, KABORE Amado et OUEDRAOGO Issa (2022). Aménagement linguistique au Burkina Faso : recueil d’opinions pour un renforcement des capacités des acteurs de la gouvernance linguistique, in BIAKA Zasseli Ignace & COULIBALY Lacina, « La gouvernance à l’ère des changements globaux : situation, résilience et défis en Afrique » Actes du Colloque organisé par le Fonds pour la Science, le Technologie et l’Innovation (FONSTI) et le Programme d’Appui Stratégique à la Recherche Scientifique (PASRES), Abidjan- Côte d’Ivoire les 28, 29 et 30 juin 2022, Revue trimestrielle en Sciences Sociales (RSS) -Programme d’Appui Stratégique à la Recherche Scientifique (PASRES), PP.940-955